Depuis le début des beaux jours, Ginko à Bordeaux est de nouveau théâtre quasi quotidien de rodéos urbains motorisés. Le phénomène, devenu récurrent, exaspère les habitants qui dénoncent une absence de réponse ferme des autorités malgré de nombreux signalements. Sur les réseaux sociaux, une véritable avalanche de témoignages et de discussions fleurissent, révélant l’ampleur du ras-le-bol.
« Ils font le show pour gêner les résidents de Ginko ! »
Entre scooters, motos cross et quads, les nuisances sonores et les comportements dangereux se multiplient dès la fin d’après-midi. Le calme apparent de l’écoquartier vole en éclats vers 16h. Les zones piétonnes du Cœur Ginko, la place Jean Cayrol, ainsi que le cours de Québec — artère centrale reliant Ginko aux Aubiers — où circuler sur la roue arrière semblent s’imposer comme une routine – sont particulièrement touchés.
Les berges du lac, à l’ouest du quartier, est un autre lieu de prédilection où les amateurs de wheeling aiment s’entraîner, sous les yeux des promeneurs venus profiter de la verdure. Fraîchement aménagés par Bordeaux Métropole, les cheminements sont appréciés par les personnes en situation de handicap ainsi que par les adeptes de motocross et autres « scootards », peut-on lire sur Twitter.
Les riverains évoquent un vacarme incessant, des infractions à répétition (grillage de feux, circulation sur les trottoirs) et surtout une forme d'impunité quasi totale. « Ce quartier est devenu invivable », résume un habitant présent depuis 12 ans. La situation est telle que certains décrivent une ambiance délétère et une peur croissante.
Les auteurs de ces rodéos sont identifiés comme un groupe de jeunes, souvent sans casque ni plaque d'immatriculation. Leurs visages ont d'ailleurs été retrouvés sur Instagram, où ces derniers postent, la tête haute et sans retenue, des clichés et des vidéos de leurs « exploits ». De quoi aggraver le sentiment d’impunité et d’abandon ressenti par les quelques milliers d’habitants du nouveau quartier. « [Ils] paradent et font le show précisément pour gêner les résidents de Ginko », – peut on lire dans et entre les lignes. « Même les agents de nettoyage du quartier s’y mettent », rapporte un résident abasourdi après avoir vu un employé faire du wheeling sur son scooter.
Wheeling sur le cours de Québec entre les quartiers Ginko et Aubiers © Facebook
Réveiller le Palais Rohan
Michael*, installé à Ginko depuis six mois, découvre le phénomène des rodéos urbains. « Je m'y attendais, J’en avais entendu parler, mais je suis surpris par une telle inaction », avoue cet ancien Parisien. « Je ne sais pas ce qui me dérange le plus : les rodéos eux-mêmes ou l’indifférence des pouvoirs publics. »
Quelques habitants appellent à une mobilisation plus forte : pétitions, lettres au procureur, vidéos virales postées sur X. D’autres envisagent des actions plus musclées, comme une descente collective de « 40 papas » pour aider la police et faire barrage. « Une copine leur a jeté des pommes sur la tête », – confie Anaïs* sur Facebook. « Ne gaspillez pas la nourriture, jetez des cailloux » lui suggère Yvan*.
Si l’indignation est unanimement partagée, des voix plus raisonnables appellent à ne pas « entrer en guerre » dont l'issue reste plus qu'incertaine. Une prudence salutaire, d’autant que la chronique nationale déferle de plus en plus de faits divers : le 6 avril, dans le Val-d’Oise, c'est un agriculteur qui est placé en garde à vue après avoir percuté un individu qui faisant un rodéo dans son champ. Le samedi 10 mai, un pompier volontaire d’Évian-Les-Bains intervenant pour faire cesser un rodéo urbain, se fait percuter puis, alors qu’il git au sol, gravement blessée, se cracher dessus par son agresseur alcoolisé.
L’Association des habitants de l’écoquartier Ginko (AHEG) préconise des actions coordonnées et invite tous les habitants du quartier, locataires comme propriétaires, à la rejoindre afin de mieux peser face aux pouvoirs publics. Elle multiplie elle-aussi les démarches auprès des autorités : rencontres avec le maire de quartier Vincent Maurin — la dernière remontant à fin avril —, rendez-vous avec la police nationale et le major Jean-Pierre Drulhe, chargé de la cohésion entre forces de l’ordre et habitants, interpellations du maire de Bordeaux Pierre Hurmic, participation aux conseils de quartier… Rien pour l'heure ne semble pouvoir réveiller la citadelle du Palais Rohan.
« Je vous remercie de votre vigilance et de votre engagement pour la sécurité de la ville »
Ne se contentant plus de s’indigner sur les réseaux sociaux, les habitants interpellent aussi la mairie. Dans une réponse écrite adressée à un de ces habitants, Marc Etcheverry, adjoint à la tranquillité publique de la ville de Bordeaux, reconnaît que ces nuisances représentent une véritable problématique. Il détaille dans sa lettre les mesures engagées, notamment une présence accrue de la police nationale, ainsi qu’une réforme à venir de la police municipale qui comprendra, entre autres, la « territorialisation de la police » et « le déploiement de dispositifs de proximité ».
Dans son courier l'élu remercie les habitants de leur vigilance et de leur engagement pour la sécurité de la ville et les invite à continuer de signaler les incidents via le 17 ou les plateformes officielles.
« Bla bla bla », – résume laconiquement le destinataire de la lettre.
« Quelqu'un a des nouvelles des flics concernant les rodéos ? »
À Ginko les habitant s'accordent : il faut appeler le 17 au moindre signe de rodéo et de les signaler sur le site du Ministère de l'Intérieur – tout est bon à prendre pour constituer une base solide face aux autorités. Mais admettent que l’effet est très limité : « On a beau signaler, rien ne bouge », résume, fataliste, une habitante.
Dans les faits, l'efficacité des forces de l'ordre face aux auteurs des rodéos est jugée insuffisante, voire inexistante. Malgré une présence policière, parfois discrète – « Ils sont souvent en civil. Perso, je les vois patrouiller » – les critiques abondent : « Une voiture de police est passée en plein rodéo, elle n’a même pas ralenti », « les jeunes provoquent les policiers sans conséquence », « j’ai vu des agents rigoler dans leur voiture »,
Les réactions sur les réseaux sociaux sont certes à prendre avec des pincettes, mais la réalité du terrain montre qu'à Ginko, un appel au 17 n'a jamais fait cesser un rodéo. « [C’est comme] pisser dans un violon », résume crûment Gaëlle*, qui affirme faire des signalements tous les soirs.
Interpellée à plusieurs reprises, la police nationale reconnaît des marges de manœuvre réduites – les forces de l’ordre ne peuvent pas prendre de risques en engageant des poursuites qui pourraient provoquer des accidents graves. « [ La police ne peut que] retrouver les motos et les confisquer ( parfois rendues par décision de justice)» résume de son côté Lucas*, membre de l’AHEG. « ils disent qu'ils ne peuvent pas intervenir car les individus n'ont pas de casques...», - ironisent d'autres, moins diplomates.
« Stop à l’impunité ! »
Le discours est légèrement plus musclé du coté de l’exécutif : pour lutter contre « le fléau des rodéos urbains », le Ministre de la Justice Gérald Darmanin demande aux procureurs de durcir les sanctions. La loi permet déjà de « saisir systématiquement les véhicules impliqués dans des rodéos et […] les vendre ou faire détruire avant même le jugement. », rappelle-t-il le 9 mai dernier sur Twitter suite à une violante aggression d'un élu girondin, le samedi 3 mai, à Gauriaguet, alors qu’il tente de mettre fin à un rodéo impliquant notamment des mineurs de 15 et 17 ans. Avant de conclure son tweet par un « Stop à l’impunité ! »
*Noms et prénoms modifiés